Du zoo au modèle de conservation : la mue stratégique du Parc Animalier d’Auvergne
À l’heure où les entreprises cherchent à concilier performance et responsabilité, le Parc Animalier d’Auvergne offre un exemple inspirant de transformation durable.
En un peu plus de dix ans, sous l’impulsion de Pascal Damois, le parc est passé du modèle classique de zoo à celui d’un acteur engagé de la préservation de la biodiversité, combinant vision, cohérence stratégique et engagement collectif.
Une mutation exemplaire, autant scientifique que managériale, qui illustre comment la raison d’être peut devenir un véritable levier de performance économique et de fierté collective.
Chiffres-clés : 110 000 visiteurs par an (30 000 en 2012) – 350 animaux de 60 espèces différentes sur 50 hectares de nature – ~30 équipiers en CDI et plus de 60 personnes l’été – Plus de 3M€ de chiffre d’affaires (400 000€ en 2012)
Leçon n°1 : comment réinventer un modèle traditionnel en un modèle durable
Le parc zoologique est un modèle qui pose question à une époque qui se soucie davantage du bien-être animal. Si Pascal Damois est un « anti-zoo repenti », comme il se qualifie lui-même, c’est parce qu’il a su faire évoluer son modèle en accord avec ses convictions : devenir un parc à la fois scientifique et pédagogique de conservation des espèces menacées.
La très grande majorité des espèces menacées fait l’objet d’un programme d’élevage et de conservation européen, un EEP (EAZA Ex situ Program), géré par un coordinateur pour toute l’Europe. Le Parc Animalier d’Auvergne gère pour l’Europe deux espèces de caprinés méconnus, le takin et le goral (qui ne compte par exemple pas plus de 30 individus en Europe).
« Nous sommes responsables de la génétique des populations en captivité de ces deux espèces, l’objectif étant de maintenir une diversité génétique à 100 ans permettant de réintroduire les animaux dans leur milieu naturel quand ce sera possible. Un animal en EEP n’a pas de valeur marchande, il ne peut pas y avoir de transaction entre parcs zoologiques. Seul le coordinateur décide d’un transfert selon l’intérêt génétique, et c’est un vrai travail scientifique. »
Ensuite, Pascal Damois s’est engagé fortement dans la conservation in situ en co-créant Play for Nature, un fonds de dotation reconnu d’intérêt général et humanitaire. Aujourd’hui, le Parc reverse en moyenne 8% de son chiffre d’affaires (et ambitionne de stabiliser ce chiffre à 10%) pour soutenir une trentaine de projets à travers le monde sur les trois thématiques de Play for Nature :
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‘’Biodiv’ Monde’’, qui soutient financièrement des programmes de protection des espèces menacées, souvent présentes au Parc, dans leur milieu naturel
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‘’Biodiv’ Sport’’, qui sensibilise à la biodiversité par la pratique sportive.
« Nous soutenons par exemple le programme Big Life qui organise au Kenya les jeux Olympiques Maasaï : les épreuves d’athlétisme remplacent la chasse au lion comme rite de passage à l’âge adulte. Ces événements attirent des milliers de personnes et permettent de sensibiliser très largement les populations locales à la cause des lions. »
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‘’Biodiv’ Educ’’, un programme à destination des écoles et centres de loisirs qui sensibilise les enfants à l’environnement et la biodiversité par le biais des technologies numériques : apps, lunettes de réalité virtuelles, jeux vidéo.
« Plus de 4000 enfants participent à nos programmes d’éducation chaque année, avec l’idée d’en faire des citoyens qui seront concernés demain par la protection de la biodiversité. »
Pour évoluer vers un parc à visée scientifique et pédagogique, le Parc a désormais une équipe pédagogique de 4 permanents, qui monte à 12 personnes en été. Deux vétérinaires responsables du bien-être animal et de la nutrition ont également rejoint le parc ; ils sont aussi chargés de recherche et publient des travaux pour la communauté.
Les conseils de Matière à Transformations
Un modèle d’affaires (ou business model) décrit la façon dont une entreprise crée, délivre et capture de la valeur. Quels clients sert-elle, avec quelle proposition de valeur ? Quels flux de revenus et quels coûts cette activité génère-t-elle ? Sur quels ressources et partenaires s’appuie-t-elle pour assurer la viabilité économique et la pérennité du modèle ?
Un modèle d’affaires peut devenir moins performant voire obsolète à la suite de changements dans l’environnement interne et externe : évolutions marché, réglementaires, nouvelles attentes sociétales …
Questionner votre modèle existant sous différents angles :
- Adéquation de l’offre avec les attentes clients, les attentes sociétales et les attentes des équipes (le triangle magique)
- Régularité des flux de revenus, facilité et coût d’exécution
- Potentiel d’élargissement de l’offre
- Capacité à étirer le modèle pour aller chercher d’autres marchés avec des propositions de valeur proches voire similaires
Leçon n°2 : diversifier son offre pour sécuriser son activité à l’année
Lorsque Pascal Damois a repris le parc, celui-ci était ouvert 6 mois dans l’année et réalisait 80% de son chiffre d’affaires en juillet/août. Une saisonnalité forte et une dépendance à la météo trop risquée !
Les activités pédagogiques, outre leur vocation de sensibilisation, permettent de s’affranchir des aléas météo. Ces activités ont lieu sur réservation et ne sont ni remboursables ni modifiables. Le Parc a commencé avec l’activité « Soigneur d’un jour », destinée à de petits groupes, entre amis ou en famille.
« Les clients le comprennent très bien. Quel que soit le temps, les animaux sont soignés, nourris. Petit à petit, on a construit une offre complète, incluant même des colonies de vacances sur le thème du soigneur. Maintenant, nous sommes ouverts quasiment toute l’année et ces activités représentent 20 % de notre chiffre d’affaires. »
Il ne manquait plus qu’une solution d’hébergement de qualité. C’est chose faite avec le rachat récent d’un manoir, rebaptisé le Manoir des rêves sauvages, qui a permis également de développer une offre complémentaire de séminaires et de team buildings pour une nouvelle cible, les entreprises.
« Nous venons d’innover en créant un escape game au sein du manoir, la ‘’Wild Mission’’, dédiée à la nature et la protection de la biodiversité. Il y a une vraie cohérence avec notre positionnement, et ces activités fonctionnent tout l’hiver et sont gérées par notre équipe pédagogique Idéalement, dans 10 ans, on aimerait bien qu’il n’y ait plus que 50% de notre chiffre d’affaires qui dépendent de la météo. »
Les conseils de Matière à Transformations
Désaisonnaliser une activité demande de brainstormer « out of the box » :
- Oubliez votre offre actuelle, concentrez-vous sur vos cibles clients et décrivez leur persona : comment vivent-ils, comment travaillent-ils, quelles sont leurs croyances, leurs passions, leurs routines, leurs points de friction, leurs aspirations, etc. Cette analyse introspective de vos prospects vous permettra d’identifier des offres connexes tout en restant cohérent avec votre positionnement d’entreprise et de marque.
- Oubliez vos clients actuels. Quelles autres cibles pourraient avoir un besoin similaire mais à des moments différents ?
- Pouvez-vous décorréler l’acte d’achat de la consommation de votre offre ?
Leçon n°3 : les vertus du management participatif et d’une gouvernance pédagogique
Le Parc Animalier d’Auvergne est devenu une entreprise à mission il y a plusieurs années.
« Les premières années, j’ai porté cette vision d’un parc un peu différent et petit à petit, je me suis entouré de personnes pour qui cela avait du sens. La raison d’être, ce n’est pas moi qui l’ai écrite, c’est vraiment toute l’équipe. »
Cette raison d’être oriente aussi les recrutements, et aujourd’hui, la trentaine de permanents se reconnaît dans ces valeurs. Pour aller encore plus loin, Pascal Damois, convaincu du besoin de construire collectivement, n’a pas voulu d’une organisation pyramidale.
« Après avoir défini ensemble nos valeurs, le fait de donner plus d’autonomie est venu assez naturellement. Toutes les réunions stratégiques, les plans d’investissement sont discutés collégialement, l’ensemble des équipiers est d’abord consulté puis les décisions se prennent avec les chefs d’équipe. Cela a permis d’embarquer tout le monde, et aujourd’hui chacun défend l’intérêt du parc. »
Pascal Damois interroge également l’ensemble des employés, saisonniers et stagiaires compris, deux fois par an au travers d’un questionnaire. L’occasion de faire remonter des idées, des difficultés ou des contradictions, sans le filtre du chef d’équipe.
« On a eu aussi des crises de croissance, des moments où les équipes nous disaient se sentir loin de la direction et ne pas savoir comment lui parler. Dire que la porte est ouverte n’est pas suffisant. »
Le questionnaire a permis par exemple de faire remonter le fait que la salle du personnel devenait trop petite avec la croissance de l’effectif. Six mois après, une nouvelle salle était inaugurée. « On ne peut pas travailler sur le bien-être des animaux sans travailler aussi sur celui de nos équipes. »
Au départ, Pascal Damois avait fait le choix de réponses anonymes, mais il a préféré renoncer à la suite de rares dérapages. « Il faut que les gens soient responsables de ce qu’ils disent. »
Le principal écueil a été de faire comprendre que toutes les idées ne pouvaient être mises en œuvre.
« On fait maintenant un effort de pédagogie pour expliquer le raisonnement derrière chaque arbitrage, même si individuellement, on peut rester en désaccord avec les priorités choisies collectivement. »
Les conseils de Matière à Transformations
- Associer les équipes à la définition de la raison d’être est un exercice fondateur :
- Il permet d’identifier les valeurs qui font la cohésion du groupe
- En questionnant la singularité et le réalisme de la raison d’être, il amorce la réflexion collective sur le positionnement et le niveau de promesse de l’entreprise.
- Si, pour des raisons de taille, vous ne pouvez pas co-construire avec l’ensemble des équipes, veillez à prendre un groupe représentatif des différents métiers et niveaux de l’entreprise, voire des différents pays pour une entreprise implantée à l’international. - Une parole libre et constructive ne se décrète pas. Elle se construit sur la confiance et dans la durée.
Instaurez des flux de communication descendants, ascendants et transverses (inter-métiers, inter-départements, inter-sites, etc). Donnez la parole aux équipes pour présenter leurs projets et les mettre en lumière. - La question de l’anonymat est souvent épineuse. Le choix dépendra de plusieurs facteurs : la taille de l’entreprise, sa culture, le climat social. Il dépend aussi des items abordés dans le questionnaire. Si les sujets sont collectifs et ne concernent pas la relation managériale, il est plus facile de rendre l’enquête nominative.
Un seul impératif : donner du feedback sur les résultats et déclencher un plan d’action suivi pour mettre en œuvre les idées retenues. Vous capitaliserez ainsi sur la dynamique pour améliorer l’engagement et la qualité de vie au travail.
Leçon n°4 : cohérence, audace et projection, les clés pour des résultats durables
La cohérence entre le positionnement du Parc et la façon dont est pensé chaque détail est frappante : gestion de l’eau, gestion des déchets, offre de restauration en circuits courts, achats de seconde main, changement de 90% des enclos pour donner plus d’espace à moins d’espèces … Incontournable pour être crédible aux yeux des équipiers comme des visiteurs.
Près de 10 millions d’euros d’investissement ont été nécessaires au fil des années pour cette mue du Parc, devenu le deuxième site touristique le plus cher du Puy-de-Dôme pour financer toutes ces innovations et la montée en compétences des équipes.
« Quand on a dépassé les 20 euros pour le prix du billet, on s’est fait un peu peur. Mais nous avons toujours expliqué aux visiteurs notre démarche et l’usage de cet argent. Nous sommes extrêmement transparents. Nous avons probablement perdu certains visiteurs mais nous avons aussi gagné une clientèle plus engagée, et la fréquentation n’a pas baissé ! »
Même si la transformation est bien avancée, Pascal Damois poursuit l’exercice de projection stratégique. Il prévoit notamment de continuer à investir pour mieux représenter le règne animal, avec des espèces d’oiseaux menacés, et l’obtention d’un certificat de capacité pour présenter des reptiles.
« On voudrait aussi gérer les forêts rachetées autour du parc de manière durable, en construisant un projet de forêts auvergnates adaptées au réchauffement climatique. On vient aussi prélever des branchages pour nos animaux, une petite partie qui se régénère. On veut arriver à quelque chose d’harmonieux.
L’entreprise commence à ressembler à ce que j’imaginais il y a quelques années :
nous deviendrons en 2028 le premier parc zoologique au monde 100% espèces menacées et nous commençons déjà à réfléchir à l’après 2028 avec un focus majeur sur la réintroduction de ces espèces menacées dans leurs milieux naturels avec des animaux nés en captivité au Parc. »
Les conseils de Matière à Transformations
- La cohérence entre l’intention d’une entreprise - traduite dans sa Raison d’être, son positionnement et ses offres – et la façon dont elle exécute ses opérations, traite ses clients et gère ses équipes est fondamentale. Les cibles sont poreuses, et sans cette cohérence écosystémique, l’entreprise perd toute crédibilité aux yeux de ses parties prenantes, internes et externes.
- La stratégie n’est pas un exercice le temps d’un projet ou d’une phase spécifique traversée par l’entreprise. C’est un exercice au long cours qui s’ajuste et s’enrichit au fil des évolutions de contexte internes et externes. Il ne s’agit pas non plus de partir d’une page blanche chaque année.
- Après un premier exercice fondateur, revisitez votre stratégie idéalement une fois par an en commençant par une mise à jour de votre diagnostic interne/externe et de votre analyse des risques.
- Identifiez ensuite les inflexions nécessaires dans la feuille de route, voire dans la vision elle-même.
- Si vous ajoutez de nouvelles initiatives, pensez à en déprioriser d’autres. Un exercice toujours difficile mais essentiel pour concentrer ses efforts efficacement !
